La toile ne pardonne pas.
Voilà le type d’article que j’ai envie d’écrire depuis un moment…
Les événements d’hier avec cette employée de Free qui a trouvé malin d’aller écrire sur les murs des pages Facebook de Bouygues et SFR avec son vrai nom me permet enfin de trouver le temps de m’y mettre.
La réaction des internautes a été violente, très violente. Trop violente. Non ?
Pour commencer cet article, je vous mets en garde : il a été écrit dans la nuit, il est possible et probable que j’utilise souvent le « je », que j’y expose certaines convictions pas nécessairement argumentées et qu’on y trouve des « formulations très parlées ».
D’autre part, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’enfoncer un peu plus cette personne, qui est accessoirement un être humain. Je vais m’efforcer de ne pas citer son nom dans cet article pour ne pas noircir un peu plus le tableau, néanmoins dans les liens qui parcourent l’article il est tout à fait possible que son patronyme apparaisse plusieurs fois.
Mais quelle idiotie…
Écrire des histoires n’est pas mon fort, surtout qu’il doit y avoir plusieurs façons de raconter celle-là, mais grosso modo : elle est allée sur les pages Facebook de deux concurrents pour faire part de son « indignation ». Dans un cas en incitant à aller chez Free et dans l’autre cas en se faisant passer pour une cliente mécontente (nous n’avons pas prouvé qu’elle n’était pas cliente SFR).
Seul problème, elle travaille chez Free et c’est une chose que « Tanguy », le désormais célèbre community manager de Bouygues Télécom a rapidement débusqué. En effet, elle a utilisé son vrai nom pour faire cette démarche et une simple requête sur Google permet, entre autres, de trouver son profil Viadeo où elle mentionne publiquement travailler chez Free.
Elle aurait pu s’arrêter à ce message laissé sur la page officielle de Bouygues, mais alors qu’elle est identifiée comme étant une employée de Free, elle va se rendre sur l’une des pages de l’autre concurrent SFR 8 heures plus tard. Et là c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Même si nous admettons qu’elle soit de bonne foi sur le mur de cette page SFR, la fautive devait bien se douter que démarche allait mettre de l’huile sur le feu compte tenu du nom de son employeur.
Ce genre d’erreur arrive, mais depuis le lancement de l’offre Free Mobile, tous les yeux sont braqués sur le déversement d’indignations des clients des opérateurs traditionnels sur Facebook. Y contribuer, aux yeux de tous, c’est l’erreur à ne pas faire.
Elle doit vivre un enfer
En tant que blogueur, j’ai mon pire cauchemar : écrire une chose inexacte, une bêtise plus grosse que moi et qu’on m’attaque dessus et que m’associe à cette erreur à tout jamais.
Engager son nom, c’est prendre un risque, surtout sur le web et surtout quand on n’est pas consensuel. Pour dire ce que l’on pense ou faire du « trolling »… Il vaut mieux être anonyme.
Personnellement la transparence me permet d’assumer mes propos et m’empêche de dire certaines choses dont je parlerais probablement sous anonymat. Assumer, c’est ce qu’Emmanuelle B. a oublié de faire en supprimant ses messages et son compte Facebook au lieu d’affronter le problème.
Malheureusement pour elle, la machine est lancée, les images ci-dessus circulent sur Facebook et Twitter toute l’après-midi, Begeek publie un article, son nom débarque en trending topic de Twitter en quelques minutes, des images parodiques, un faux compte Twitter utilisant son nom est ouvert (maladroitement d’ailleurs) et « les internautes » fouillent le web à la recherche de toutes traces de sa présence (photos, Facebook, Myspace…). Le seul but de la démarche : « Se foutre de sa gueule ».
On peut se moquer d’elle et de la naïveté de son acte, mais c’est ce dernier qu’il faut attaquer, pas elle personnellement.
La réaction a été très violente et disproportionnée et il est important que quelqu’un fasse la démarche de le dire. Le web n’est pas une zone de non-droit. Il y a certes des moqueries, mais aussi un « lynchage » public et une usurpation d’identité. On est (ou presque) dans le registre de la diffamation et j’ai envie de vous dire que si Emmanuelle B. était un personnage public, certains de ces « moqueurs » auraient peut-être fait un tour au commissariat, que l’on soit sur le web ou non (la justice peut être à deux vitesses).
Le web c’est parfois le moyen-âge au temps des sorcières.
On est proche de ces paysans, fourche à la main, qui brûlaient des femmes arbitrairement pour sorcellerie. Ils n’avaient pas besoin de preuves, ni de réfléchir 5 minutes aux conséquences ou à une éventuelle injustice : le phénomène de groupe est tellement entrainant qu’il est presque impossible de lutter…
Le peuple moyenâgeux du web l’a brûlé vive en une après-midi.
Même pour une erreur grossière, faut-il salir son nom et détruire sa réputation ?
Le web retient, Google retient : la mémoire du web n’a potentiellement aucune limite et sa réputation est complètement foutue (ou presque).
J’ai l’impression que dans notre vie immatérielle la peine de mort existe encore.
En aparté, j’en ai vraiment ras le bol d’entendre que « L’Internet est virtuel ». Quel profond manque de recul et de réflexion, vous comprenez bien que l’immatérielle n’a jamais été aussi réel (surtout pour Emmanuelle B.).
Dire quelque chose d’erroné sur le web c’est beaucoup plus dangereux que de l’hurler dans la rue. Soyons clair, s’il y a un seul endroit où il faut être responsable de ses actes, c’est sur le web.
Pas chez vous, pas avec vos collègues ou dans votre famille : sur le web. Le web c’est le Far West, on cherche une nouvelle frontière qui pour le coup n’existe pas. L’Homme redevient l’animal qu’il a toujours été : un sans foi, ni loi. L’épisode de hier après-midi a fini par ressembler à une bande de primates émerveillés par leur participation collective à une lapidation numérique…
Et encore, la plupart des singes savent probablement se montrer plus respectueux.
Faut-il civiliser le web ?
Le web ne pardonne pas, le web n’oublie pas… C’est peut-être du « Anonymous », mais la structure d’Internet est par nature anarchique et sans frontières.
La plupart des personnes qui proposent actuellement de « civiliser » le web méconnaissent profondément ces usages et ces enjeux. Ils souhaitent généralement imposer par la force : une loi, des limitations, des privations. Le problème c’est que sur une terre sauvage comme le web, c’est que sans consensus implicite avec sa population, le résultat est souvent le suivant :
Et pourtant d’un côté c’est une bonne chose.
Le web est devenu incontournable et la moindre erreur y est sanctionnée : c’est ainsi le meilleur espace possible pour que les hommes et les femmes politiques y exercent. Le web offre une parole ultra public et à jamais consultable : difficile d’y dire des âneries et c’est une très bonne nouvelle si les politiques y vont (chose qu’ils feront par la force des choses).
Le citoyen lambda peut l’interpeller sans détour, sur une page Facebook, sur un compte Twitter. Le politique ne peut pas fuir devant ses responsabilités sur le web comme on peut le faire dans la rue ou en fonçant dans sa voiture avec chauffeur pour esquiver une question. Le politique devrait être l’otage du peuple et le web, malgré ses défauts, reste une bonne nouvelle pour la démocratie.
Les politiques voient souvent la démarche d’aller sur le web comme un risque, si c’est le cas c’est qu’on se reproche quelque chose, non ? Ou alors il ne fallait pas faire le choix d’être un personnage public.
Pour conclure, revenons-en à notre employée de Free, c’est triste à dire, mais si elle est virée de chez Free, elle ne pourra pas trouver de travail chez un autre opérateur, ni dans un domaine impliquant le web (ou la communication). La « web-populace » française l’a numériquement tué et les conséquences pour elle peuvent vraiment être très graves. Peu importe sa faute, je ne pense pas qu’elle le mérite.
Sources :
Illustration : « Coup de poing »
Illustration : « Au bûcher ! »
Illustration : « Gorille »
Article : « Free Mobile : Du troll sur les pages Facebook des concurrents ? »
Article : « Bel exemple de community management par Tanguy de Bouygues Telecom » Article : « Le community management de Bouygues Telecom, SFR et Orange face au lancement de Free Mobile »